1 décembre 2009

Être et ne pas être français, en beaucoup de phrases (1)

« Le jour du 14 juillet,
Je reste dans mon lit douillet :
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas. »

Georges Brassens, La Mauvaise Réputation.


« On ne parle jamais autant d'une chose qu'au moment où elle disparaît, dit Baudrillard. Ainsi des fafs, résiduels même si forts en gueule. Oubliez le FN [...] et regardez devant ce qui nous arrive : les sociaux-démocrates... Souriez, vous êtes gérés ! »

Alain Damasio, La Zone du dehors.

1. Le renouveau autoritaire du culte républicain

Qu'est-ce qu'être français aujourd'hui ? C'est ne pas devoir faire l'effort de le devenir.

Car si on voit que, d'un côté, l'État demande de plus en plus d'efforts aux « nouveaux Français » que sont les enfants, les adolescents et les étrangers qui acquièrent la nationalité française, on peut constater aussi que de l'autre côté un Français adulte, né français (disons un « ancien Français » plutôt qu'un « Français de souche ») n'a le plus souvent envers ce même État que des obligations financières : il en est quitte s'il paye ses impôts, ses cotisations sociales, et ses amendes.

Si on observe d'un peu plus près ce qui se passe, on s'aperçoit que les efforts demandés aux « nouveaux Français » ne sont pas demandés au hasard : c'est bien un véritable culte républicain, fait de rituels de plus en plus substantiels et contraignants, qui se (re)met en place depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, ou même plus précisément depuis son passage au ministère de l'Intérieur. Vu de l'extérieur des cercles du pouvoir, ou de l'extérieur du pays, cela ne manque pas de surprendre : visiblement notre Président et les personnes arrivées aux responsabilités avec lui, qui admettent volontiers qu'ils sont peu cultivés, ne se contentent pas de mépriser la Princesse de Clèves ; ils n'ont pas lu non plus les philosophes qui ont écrit sur la post-modernité, et ils semblent ne pas savoir que notre époque se caractérise par la fin des grands récits et des croyances qui leur sont associées. À contretemps donc, l'État, sous leur direction, remet du solennel, ou une parodie de solennel à laquelle personne ne croit vraiment, dans les actes de la République, même les plus insignifiants en apparence.

Il faut bien avoir à l'esprit, pour comprendre les enjeux du débat sur l'identité nationale, tout le contexte de retour ou d'instauration de ce religieux républicain, tel qu'il se manifeste aussi dans d'autres lubies du régime : par exemple l'obligation de faire aux lycéens tous les ans la lecture édifiante de la désormais célèbre lettre de Guy Môquet, ou le projet finalement écarté de faire adopter par chaque écolier de France la mémoire d'un enfant juif assassiné à Auschwitz, ou encore - on n'en parle pas assez - la montée en puissance programmée du service civique, qui a fait l'objet cet automne d'un débat au Sénat et qui est appelé dans l'esprit de nombreux parlementaires de tous bords à devenir, dès que le moment sera favorable, un service national obligatoire pour les jeunes gens des deux sexes. Alors seulement on peut comprendre ce qui se passe et on voit clairement quelle est la logique qui inspire les propositions qu'on trouve à la section 2 du document de travail Pour aller plus loin, accessible en page d'accueil du site officiel . Ces « premières propositions d'action soumises au débat » sont toutes de nature religieuse : mécanisme de parrainage en vue d'une cérémonie de baptême (2.1.2, 2.2.5, 2.2.6), cours de catéchisme (2.1.3, 2.2.3, 2.3.1), hymnologie pratique (2.3.2), remplissage autoritaire des lieux de culte (2.3.3 - et si cette proposition-là est adoptée, ce sera en théorie fini pour tous les fonctionnaires le lit douillet du 14 juillet : dans les années à venir il sera peut-être bien difficile pour moi et mes collègues, convoqués en tant que forces vives de la Nation, de ne pas aller saluer le drapeau ce jour-là à 9 heures du matin, le petit doigt sur la couture de la jupe...).

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